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le blog de Primatin
le blog de Primatin
30 janvier 2009

Causes

L’ardente quête des causes

  « MAHA-NA, M’BÉLÉ » (lire l'épisode précédent). À l’Éden enchanteur raconté par Adam et Ève, Primatine opposait la dureté de la vie dans la jungle primitive.
— « Le trop facile est inhumain ? Le trop difficile l’est plus encore ! » aurais-je répondu à la première de nos mamies.
  Mais « trop difficile » ne se disait pas en primatinien. Sans mesurer leurs efforts, nos ancêtres affrontèrent de terribles épreuves. S’ils avaient renoncé, l’humanité aurait disparu. Nous ne serions pas sur terre à nous lamenter.
  À l’enfant qui se plaignait d’un bobo, Mamie Titine déclarait tout de go :
— WA-NA BO BÉLÉ.
Littéralement : pas glorieux, le bonheur facile (wa ! est un cri d’admiration que nous utilisons encore; na marque sa négation; bo indique le bonheur —d’un baiser par exemple, comme dans  le chant créole  « ba moin an ti bo » ; bélé, vous connaissez déjà.)
  Notez l’admirable concision du primatinien. En alexandrin français, on pourrait dire :
  — Bien mesquin le bonheur facilement gagné !
  Ou, dans un style plus tragique :    "La douleur de vivre fait partie de la vie".

*

  Pour prévenir un malheur, Primatin s’efforçait d’en détecter la cause. Le mal immédiat, il l’identifiait facilement : un tigre par exemple, adversaire à éliminer en creusant un piège sur la piste qu’il fréquente. Mais Primatin se contentait d’archiver dans son cerveau les maux inexplicables, tremblements de terre et autres manifestations hostiles de son environnement. L’impérieuse nécessité de lutter pour vivre ne lui laissait pas le loisir de théoriser sur l’origine du mal. Face aux défis quotidiens, nous réagissons sainement comme Primatin. En priorité, nous surmontons nos malheurs ; les questions viennent plus tard.
  Quelques millénaires après Primatin apparurent des « intellos ». Ils laissèrent les travaux manuels aux esclaves, afin de se consacrer aux joies de la philosophie. Au temps du déclin de la République Romaine vécut un interprète du mal particulièrement génial. Ignorant son identité, je le surnomme Félix. L’adjectif felix (qui signifie heureux) débute un vers de Virgile, contemporain de Félix au premier siècle avant notre ère. Proverbial, le vers latin orne les pages roses du Petit Larousse:
Felix qui potuit rerum cognoscere causas.
  Voici, en versification française, cet extrait des Géorgiques :

Heureux celui qui sait, en tout état de cause,
Pénétrer par l’esprit l’origine des choses.

  Ayant mûrement réfléchi, notre Félix de la vraie Rome proclama sur le Forum, devant des patriciens ébahis :
— L’homme atteindra le bonheur, s’il parvient à trouver d’où viennent ses malheurs.
  Félix énonça savamment le principe que nous appliquons spontanément afin de vaincre nos maux quotidiens. Lorsqu’en refusant de fonctionner une automobile plonge sa conductrice dans la détresse, l’infortunée appelle un dépanneur. L’habile mécanicien cherche d’abord la cause du mal. L’ayant trouvée, il répare le véhicule et sa cliente retrouve le bonheur de conduire. Quand un scrofuleux se traîne jusqu’à son cabinet, le médecin diagnostique le mal. Puis il prescrit un remède qui redonne au patient la santé. Découvrir la cause d’un mal permet souvent d’y remédier.
  Chercher la cause lointaine (ou première) du mal reste une autre paire de manches, disait Cicéron, avocat contemporain de Félix et célèbre par ses effets. Courageux, Félix retroussa ses manches. Polythéiste comme la plupart de ses contemporains, il analysa les panthéons de l’Égypte, de la Grèce, de Rome, de la Perse et de la Gaule. En vingt ans d’efforts acharnés, ce savant théologien répartit entre dieux et déesses la cause ultime des heurs et des malheurs qui frappaient tour à tour les fragiles humains.
  D’où venait la menace pesant sur un mortel ? De la justice ou de la vengeance d’un Immortel. Pour prévenir ou réparer un malheur, on identifiait la divinité offensée : c’était le diagnostic. Pour obtenir sa clémence, on lui offrait prières et sacrifices : c’était le remède.
  Tout Rome félicita Félix, à l’exception de la prêtresse de Junon, qui se trouvait à l’époque fauchée et fâchée. On l’entendit marmonner :
— Ce qu’il faut promouvoir, c’est l’ardente cause des quêtes.


Pause de février pour "le blog de Primatin". Mais n'hésitez pas à lui faire parvenir vos commentaires! En date du 15 mars, la prochaine édition du blog discutera les instincts de l'homme primitif; ils sont aussi les nôtres…
Avec ce sixième message, le texte joint prend un peu de recul:

Expérience contre spéculation

 



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